Je suis déçue.
Pourtant, depuis longtemps, chaque fois que j’entrevois un des tableaux de Basquiat dans une exposition, je suis fascinée par sa force expressive, qui m’attire immanquablement. J’y trouve quelque chose de viril, comme dans les improvisations de Steve Coleman au saxo, et, hum, étant une femme, ça me plaît. J’étais donc assez enthousiaste à l’idée de cette grande rétrospective au musée d’art moderne de la ville de Paris.
Mais devant les tableaux, rien, ou presque : pas d’émotion esthétique, pas de choc. Ou plutôt, le sentiment que la force de chacune des peintures accrochées était combattue, sinon niée par sa voisine. Impression d’étrangeté aussi de voir toutes ces familles, tous ces bambins, encouragés par papa-maman à reproduire gentiment les totems violents et cruels placés devant eux. Je ne suis pas encore tout-à-fait accoutumée à cette façon de transformer l’art en parc d’attraction…Difficile dans ce cas-là de communier avec la toile, quand il faut à la fois lutter pour rester devant, et pour éloigner son œil de la violence colorée voisine.
Tout de même, j’ai essayé de regarder attentivement, et deux ou trois éléments ont retenu mon attention. D’abord, j’ai remarqué que Basquiat compose à partir de carrés ou de rectangles, et que ça lui permet de régler le problème des figures qui pourraient sembler flotter sur ses fonds la plupart du temps en aplat. Ensuite, j’ai apprécié, sur certaines toiles le jeu très fin du dessin à l’aide de pastels gras (par exemple, sur la Hara, de 1981). Quelquefois, ce dessin fait des grilles colorées, qui introduisent des subtilités dans la couleur (Dime a dozen, 1983).
J’ai cherché ensuite à voir ce qui me gênait dans les toiles elles-mêmes : d’abord elles ont un caractère discursif, que je trouve pour ma part anti-pictural. Cela est dû aux nombreux mots présents sur les toiles, non pas seulement là pour la beauté de leur forme (ce n’est pas de la calligraphie) mais pour raconter une histoire. Ces toiles ont un message à faire passer, sur la condition des noirs, souvent : elles ont un côté politique. Cela va contre l’instantanéité de lecture d’une image. Heureusement, Basquiat a une telle facilité de composition qu’il arrive à créer un tout autonome qui se tient malgré ça, peut-être cependant comme sur une très bonne affiche…Ensuite - mais sans doute là suis-je trop attachée à ce que j’ai appris - il peint « par en-dessus », c’est-à-dire que beaucoup de ses toiles sont obtenues par recouvrement, et l’on peut considérer, quand on est peintre, que c’est une facilité…Il dit lui-même dans une interview cultiver le repentir comme un art, et c’est sûr que cela va bien à l’esthétique du trash…
Les toiles peintes en collaboration avec Andy Warhol ne m’ont pas paru très intéressantes, parce que, pour moi, ils ne sont pas arrivés à dépasser le caractère duel pour faire un œuvre vraiment commune : la mayonnaise ne prend pas, l’un détruit l’autre, c’est à peu près tout.
Quand je vais à une exposition, j’ai une double posture : celle de l’amateur d’art, qui voudrait éprouver des émotions esthétiques, et celle du peintre, qui vient apprécier des techniques, des savoir-faire, le métier… L’émotion, il n’y en a pas eu beaucoup cette fois-ci : dans quelle mesure mes états d’âme personnels m’auront-ils rendu aveugle ce jour-là ? Peut-être pourrez-vous me le dire, si vous allez voir cette exposition. Je me promets de toute façon d’y retourner...
une analyse de deux toiles en vidéo sur Télérama
l'article de fond sur Télérama
deux articles sur Bleu de Cobalt, avec des images : là et là
télécharger gratuitement et légalement de la musique de
Steve Coleman
en illustration, une porte de New-york, en hommage à l'époque où Basquiat signait ses tags SAMO
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